Alexis St-Gelais, chimiste & Patrice Rondeau, technicien – Vulgarisation
Fabriquez-vous des produits cosmétiques destinés à la vente au Canada? Si c’est le cas, vous devriez vous conformer à la directive canadienne sur les impuretés de métaux lourds dans de tels produits, au sujet desquelles PhytoChemia peut vous aider efficacement. Et même si vous œuvrez dans un autre domaine ayant recours à des ingrédients d’origine végétale, nos analyses de métaux lourds sont une corde utile à ajouter à votre arc. Regardons ce sujet d’un peu plus près.
En un coup d’œil
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Dans ce billet, nous regarderons de plus près l’analyse des métaux lourds dans les cosmétiques, comment nous pouvons les mesurer, et la façon dont vous pouvez appliquer les limites de métaux lourds comme une composante intégrale de votre programme de contrôle qualité lot par lot. Nous conclurons avec un exemple de certificat d’analyse pour un produit cosmétique anonymisé.
[Je veux sauter l’explication théorique! Montrez-moi plutôt tout de suite ce dont a l’air ce certificat d’analyse.]
Les métaux lourds dans notre environnement
Les métaux lourds, comme l’arsenic, le plomb et le mercure, sont des éléments du tableau périodique qui font partie de la composition de notre planète. Ils peuvent être rencontrés dans certains minéraux et se retrouvent spontanément dans certains types de sols ou encore des sources naturelles d’eau. Les activités humaines peuvent également contaminer l’environnement. Par exemple, l’ajout de tétraéthyle de plomb dans les carburants a été une pratique largement répandue pendant des décennies, ayant mené à une dissémination à large échelle de particules de plomb autour des voies de circulation.
Nos corps peuvent jusqu’à un certain point tolérer des quantités traces de métaux comme l’arsenic, et certaines populations humaines particulièrement exposées ont même fini par y développer une bonne résistance [1]. Toutefois, un apport notable d’éléments comme le plomb, le mercure, le cadmium, l’arsenic et l’antimoine peuvent entraîner de graves problèmes de santé, puisque ces éléments interfèrent avec les fonctions métaboliques habituelles du corps. Il est donc logique de limiter notre degré d’exposition.
Éviter entièrement les métaux lourds est virtuellement impossible, puisqu’ils font partie intégrante de notre environnement. Lorsqu’on en trouve dans, par exemple, des produits tirés de plantes, ce n’est pas parce qu’on les y a ajoutés volontairement. C’est plutôt plus vraisemblablement le résultat d’une contamination provenant du sol ou de l’eau ayant été utilisée pendant la culture. Comme les plantes puisent des éléments minéraux pour croître, elles peuvent absorber les métaux lourds à leurs côtés et les accumuler avec le temps. Les extraits végétaux et les produits qui en contiennent peuvent donc faire avantageusement l’objet d’un suivi pour s’assurer de l’absence de métaux lourds et vérifier qu’ils sont sûrs à utiliser.
Comment tester la présence de métaux lourds
La section qui suit a été préparée à partir du livre Practical Inductively Coupled Plasma Spectroscopy par John R. Dean [2].
Extraction des métaux
La première étape pour déterminer la teneur de métaux lourds est de se débarrasser de l’énorme quantité de matière interférente que l’on peut typiquement trouver dans une plante, un extrait, ou un produit cosmétique. Afin d’y parvenir, on a recours à une digestion en conditions acides. Brièvement, elle implique d’immerger la substance organique dans des acides forts et de chauffer le mélange pour détruire la matière organique. Ce sujet sera couvert plus en détail dans un futur billet.
Quantifier les métaux avec la spectrométrie de masse à plasma à couplage inductif
On réfère le plus souvent à spectrométrie de masse à plasma à couplage inductif par l’acronyme ICP-MS par souci de concision (figure 1). Examinons d’abord la partie relative au plasma, qui est le cœur de cet instrument, et voyons ensuite la manière dont on peut en extraire des données par la spectrométrie de masse.
ICP – Plasma à couplage inductif
La matière peut se rencontrer sous trois états familiers; solides, liquides, et gaz. Le degré d’énergie se trouvant dans la matière augmente d’un état à l’autre. Dans les solides, les atomes sont regroupés en blocs et présentent un faible niveau d’énergie: ils ne se déplacent donc pas beaucoup. En les chauffant suffisamment pour atteindre l’état liquide, on fournit aux atomes davantage d’énergie, ce qui leur permet de glisser les uns par rapport aux autres, produisant la fluidité qui nous est familière. Davantage de chaleur, par-delà le point d’ébullition, augmente la quantité d’énergie des molécules, qui peuvent alors se déplacer librement les unes par rapport aux autres avec une faible cohésion globale. Si on chauffe davantage un gaz, à partir d’un certain point, l’énergie devient telle qu’elle est suffisante pour arracher des électrons de leurs atomes. Dans cet état, les atomes ne peuvent demeurer liés les uns aux autres, puisque les électrons sont nécessaires à ce que de tels liens existent: la matière se met alors à exister comme un mélange de gaz ionisé contenant à la fois des atomes neutres non dissociés, des électrons, et des noyaux atomiques chargés positivement. Ce quatrième état de la matière est appelé plasma. Dans la technique du plasma à couplage inductif (ICP), de l’argon, un gaz inerte, est généralement utilisé pour produire le plasma. On le préfère pour plusieurs raisons, notamment parce qu’il ne peut pas former de composés chimiques stables avec d’autres atomes, et qu’il est moins cher que les autres gaz nobles comme l’hélium et le xénon, puisqu’il constitue environ 1% de l’atmosphère terrestre.
Le plasma se rencontre généralement à de très hautes températures, puisque l’énergie requise pour tenir les électrons à l’écart des atomes est considérable. En ICP, cette température est générée au sein d’une bobine de fil de cuivre qui convertit l’énergie électrique en un champ magnétique puissant tout autour de la torche. L’argon qui est introduit dans cette torche est d’abord «allumé» par un bref arc électrique, qui fournit des électrons libres. Grâce à leur énergie élevée, ceux-ci peuvent percuter les atomes d’argon et leur arracher un autre électron au passage. Le champ magnétique intense apporte de l’énergie en continu à ces électrons, ce qui maintient ce processus en activité même une fois que l’étincelle initiale cesse et en dépit du fait qu’une partie des électrons est continuellement recombinée avec des atomes d’argons ionisés pour produire de nouveau des atomes neutres. Un échange continu entre les atomes neutres d’argon et leurs pendants dissociés d’ions d’argon et d’électrons s’établit et constitue alors un plasma, qui demeure actif tant que le champ magnétique continue à fournir de l’énergie au système. Sur le plan physique, le plasma est un flux lumineux de gaz qui ressemble à une flamme (figure 2), pouvant atteindre une température de 7000 à 10 000 Kelvins – ce qui est la température (voire un peu plus chaud) de la photosphère du soleil, soit sa «surface» visible (toutefois, d’autres parties du soleil peuvent être beaucoup plus chaudes).
Figure 2. Une torche de plasma allumée.
Lorsqu’un échantillon doit être analysé, du liquide est pompé (figure 3) et disséminé sous forme d’aérosol par de l’argon dans un nébuliseur. Cet aérosol est alors dirigé vers une chambre de nébulisation. Cette dernière retient les gouttelettes les plus grosses et ne laisse passer que les particules d’aérosol de taille idéale vers le plasma, s’assurant ainsi qu’elles ne refroidissent pas trop la torche (ce qui éteindrait le plasma). Les atomes de métaux lourds qui sont introduits dans le plasma sont eux aussi soumis au bombardement intense d’électrons et peuvent eux aussi s’ioniser. C’est alors que le détecteur de l’instrument entre en jeu.

Figure 3. Une pompe (en noir) et un nébuliseur (au-dessus) sur un instrument ICP-MS. Ceux-ci introduisent continuellement de l’échantillon dans la torche à plasma.
Spectrométrie de masse
La spectrométrie de masse implique de trier des molécules ou atomes ionisés sur la base de leur masse, puis de les compter. Les éléments du tableau périodique présentent différentes masses atomiques, qui dépendent du nombre de protons et de neutrons que l’on trouve dans leur noyau. Par exemple, les atomes d’arsenic contiennent 33 protons (d’où son numéro atomique, 33) et, dans la nature, 43 neutrons, pour un total de 75 unités de masse atomique.
Puisque l’ICP produit un flux d’atomes de métaux lourds ionisés lorsqu’ils sont présents, des ions sont déjà disponibles pour l’analyse. Le flux de plasma est donc interfacé à un spectromètre de masse par une paie de cônes, qui permettent une transition douce de la pression atmosphérique où évolue le plasma vers le vide partiel qui règne à l’intérieur du spectromètre de masse. Ainsi, l’arsenic au sein du plasma peut se faire arracher un électron et pénétrer dans le spectromètre de masse doté d’une charge positive associée à 75 unités de masse atomique.
Au sein du spectromètre de masse, un champ magnétique variable est généré grâce à quatre tiges métalliques chargées électriquement, que l’on appelle quadripôle. Les ions qui entrent dans le spectromètre de masse, étant porteurs d’une charge électrique, réagissent à ce champ magnétique et suivront une trajectoire qui sera influencée par celui-ci. En modulant le champ magnétique, le spectromètre de masse permet de trier les ions sur la base de leurs masses: ceux qui sont plus légers ou lourds que désiré adopteront une trajectoire qui les mène en collision avec l’une des tiges métalliques, ce qui les neutralise. Cependant, les ions qui ont le bon rapport masse par unité de charge électrique suivront une trajectoire stable et traverseront le quadripôle sans entrer en collision avec les parois. En appliquant un filtre magnétique pour ne permettre que le passage des ions de rapport masse/charge de 75 à travers le quadripôle, on permet ainsi uniquement aux ions d’arsenic d’atteindre le détecteur.
Lorsqu’un ion parvient au détecteur, il entre en collision avec lui et génère alors des électrons qui sont amplifiés et produisent un courant électrique. Plus il y a d’ions parvenant au détecteur par seconde, plus ce courant électrique est important: c’est ce qui permet de mesurer la quantité d’ions détectés. En mesurant la quantité de courant électrique générée par les ions de rapport masse/charge de 75, on obtient donc une indication de la concentration d’arsenic dans l’échantillon ayant été introduit dans l’instrument. Cette mesure peut être comparée à une série de solutions d’étalonnage contenant des quantités connues d’arsenic, pour enfin convertir le signal obtenu en unités lisibles de concentration dans le produit cosmétique.
Directives canadiennes sur les métaux lourds dans les cosmétiques
Limites de métaux lourds dans les cosmétiques
En 2012, Santé Canada a publié une directive destinée aux manufacturiers de cosmétiques à travers le pays. Ce document contient un Énoncé de politique qui définit les teneurs maximales tolérées pour 5 métaux lourds:
- Le plomb (symbole chimique: Pb) ne peut excéder une teneur de 10 ppm
- L’arsenic (symbole chimique: As) ne peut excéder une teneur de 3 ppm
- Le cadmium (symbole chimique: Cd) ne peut excéder une teneur de 3 ppm
- Le mercure (symbole chimique: Hg) ne peut excéder une teneur de 1 ppm
- L’antimoine (symbole chimique: Sb) ne peut excéder une teneur de 5 ppm
Ce document établit également que le manufacturier d’un produit cosmétique est responsable de vérifier que ses produits finis n’excèdent pas ces limites. Santé Canada se réserve le droit d’exiger, à tout moment, des résultats d’analyses appuyant le respect de ces limites. Ainsi, la directive conclut qu’il est recommandé pour les manufacturiers d’être proactifs et de conserver ces résultats à disposition sur une base préventive.
Quels produits ou ingrédients devraient être testés?
Suivant la définition de Santé Canada, un produit cosmétique se définit comme suit:
Toute substance qu’une personne applique sur sa peau, ses cheveux, ses ongles ou ses dents à des fins de nettoyage ou dans le but d’améliorer ou de modifier son apparence est un « cosmétique ». Les produits de beauté (parfums, crèmes pour la peau, vernis à ongles et maquillage) et les produits de toilette (savons, shampoings, crèmes à raser et désodorisants) sont aussi des cosmétiques. [Source: Santé Canada]
Ainsi, si vous fabriquez l’un de ces produits (par exemple à partir d’ingrédients naturels), vous devriez prendre des mesures pour régulièrement tester vos lots de production afin de documenter qu’ils sont conformes à la directive sur les métaux lourds (figure 4). C’est particulièrement utile si vous utilisez des ingrédients d’origine végétale, puisque les plantes peuvent absorber les métaux lourds depuis de l’eau ou un sol contaminé, et ce à l’insu du producteur.

Figure 4. Divers produits cosmétiques qui pourraient être testés: une crème à main, une cartouche de recharge de désodorisant, un rouge à lèvres et du fond de teint.
Conséquemment, si vous souhaitez éviter de mauvaises surprises et vous retrouver avec un produit fini présentant un taux de contamination inacceptable aux métaux lourds, il peut être judicieux d’adopter une politique de test en amont de vos ingrédients d’origine végétale. Cela pourrait être effectué systématiquement, ou par exemple ponctuellement pour qualifier un nouveau fournisseur au début de votre relation d’affaires.
Vérifier l’efficacité de la méthode
Puisqu’il existe une pléthore de produits cosmétiques potentiels, il est utile de vérifier si l’analyse est efficace pour tout produit donné. Comme on anticipe que la plupart des produits cosmétiques ne contiennent pas de métaux lourds, nous voulons évidemment nous assurer que s’il y en avait eu, nous aurions été en mesure de les détecter de façon appropriée aux concentrations requises.
Une bonne manière d’y parvenir en routine est par l’utilisation d’échantillons fortifiés. Nous prélevons un sous-échantillon du cosmétique à analyser et y introduisons volontairement une quantité connue de métaux lourds. Nous suivons alors la même procédure d’analyse que pour le produit d’origine et vérifions si nous obtenons la lecture de métaux lourds attendue. Cette pratique aide à nous assurer que la méthode est appropriée pour récupérer et quantifier les métaux lourds d’intérêt, et ce même si la matrice diffère d’une fois à l’autre.
Exemple de test de métaux lourds dans un cosmétique: crème à main
Un échantillon de crème hydratante à main commerciale (figure 5) contenant un extrait de plante a été soumis à l’analyse de métaux lourds. Des prélèvements de la crème ont été précisément pesés et dilués en présence de quantités prédéterminées d’acides chlorhydrique et nitrique. (Ne vous en faites pas, la cupule métallique est utilisée uniquement pour la photo – les tests en laboratoire sont réalisés dans des tubes d’essai volumétriques en plastique à usage unique, afin d’éviter toute contamination externe).

Figure 5. Un échantillon de crème à main, avec les acides chlorhydrique et nitrique en arrière-plan. Les tests réels sont effectués dans des tubes en plastique à usage unique, et non une cupule métallique.
Par la suite, deux aliquotes sont fortifiées de quantités connues de mercure, plomb, arsenic, cadmium et antimoine, alors qu’une troisième est conservée dans son état initial. Les tubes sont alors bouchés.
Les échantillons sont laissés pour la nuit en contact avec les acides pour faire une première digestion à froid. Le jour suivant, les bouchons sont desserrés et la température est progressivement augmentée jusqu’à 100 °C pour plusieurs heures, jusqu’à dissolution complète de la crème. Après refroidissement, les tubes sont amenés au trait de jauge avec de l’eau déminéralisée et agités. Une portion du liquide est alors filtrée sur un filtre fin avec des pores de 0.45 µm, et diluée de nouveau avec de l’eau déminéralisée, et ce pour chaque échantillon.
L’instrument ICP-MS est calibré avec une série de 6 solutions contenant des dilutions connues de métaux lourds, en plus d’un blanc d’eau déminéralisée pour obtenir la lecture du bruit de fond. Ceci fournit une matrice de calibration pour chaque élément* à mesurer (figure 6).

Figure 6. Courbes d’étalonnage pour les métaux lourds mesurés par ICP-MS à des concentrations connues.
La crème à main ne contenait aucune quantité détectable de métaux lourds. Afin de vérifier que ce résultat n’était pas dû à un problème avec la méthode, les échantillons fortifiés ont pu être utilisés pour vérifier que le protocole permettait bien de récupérer les métaux lourds attendus au sein d’une fourchette de 75 à 125% de la valeur cible:
Paramètre | Contenu, en ppm | ||||
As | Cd | Hg | Sb | Pb | |
Valeur attendue | 0.400 | 0.400 | 0.400 | 2.00 | 0.400 |
Résultat, échantillon fortifié #1 | 0.398 | 0.426 | 0.302 | 1.85 | 0.424 |
Résultat, échantillon fortifié #2 | 0.410 | 0.396 | 0.380 | 1.91 | 0.414 |
Récupération (%) | 101% | 103% | 85% | 94% | 105% |
Le résultat ayant été vérifié, l’échantillon peut donc être considéré comme conforme aux exigences des Directives canadiennes sur les impuretés des métaux lourds contenues dans les cosmétiques. Voici donc un aperçu de ce dont le certificat d’analyse aurait l’air pour ce test:
Un tel rapport, dûment signé par un chimiste de PhytoChemia, documenterait de manière appropriée les efforts d’un manufacturier pour suivre les métaux lourds dans son produit et pourrait être présenté à Santé Canada en cas d’inspection. Une approche similaire pourrait bien entendu être appliquée à des extraits végétaux, des ingrédients bruts, ou encore des huiles végétales!
*Certains éléments peuvent être suivis pour plusieurs masses atomiques, appelées isotopes. C’est la raison pour laquelle l’imagine montre plus de 5 analytes, puisque plusieurs isotopes peuvent être suivis pour un même élément.