Alexis St-Gelais, chimiste & Cindy Caron, chimiste – Vulgarisation
Avez-vous déjà entendu parler ou vu sur un certificat d’analyse ou de produit le terme « pouvoir rotatoire » (ou angle de rotation ou indice de rotation, en anglais optical rotation), en vous demandant à quoi il servait? Si la réponse est oui, vous êtes au bon endroit pour en savoir plus sur son utilisation et sa signification.
Dans cet article, nous nous proposons de démystifier ce paramètre en vous expliquant ce qu’est le pouvoir rotatoire, comment il se mesure et comment il s’utilise en pratique. Nous terminerons par un exemple où nous comparerons deux échantillons initialement présentés comme des huiles essentielles de lavande pures.
En un coup d’oeil
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Le pouvoir rotatoire est une propriété physicochimique générique des liquides organiques contenant des composés chiraux, comme les huiles essentielles et les huiles végétales.
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Il peut être mesuré en contrôle de routine pour vérifier la conformité d’un échantillon suivant une spécification et pour trier les échantillons anormaux.
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Il constitue un ajout intéressant à tout certificat d’analyse standard d’huile essentielle, huile végétale ou produit apparenté.
Qu’est ce que le pouvoir rotatoire?
Cette valeur est indicative de l’interaction d’une substance ou d’un mélange de substances avec un type particulier de lumière appelée lumière polarisée.
Lumière polarisée et molécules chirales
Pour faire court, la lumière est constituée d’ondes d’énergie voyageant dans une direction donnée. Pour la lumière non polarisée, cette onde oscille aléatoirement autour de différents plans. Ainsi, certaines ondes peuvent osciller parallèlement à l’horizon, d’autres perpendiculairement, et d’autres encore suivant des diagonales différentes.
Dans une lumière polarisée, les ondes ont été filtrées et seules celles oscillant dans un plan particulier (par exemple, uniquement celles oscillant parallèlement à l’horizon) ont pu traverser le filtre (figure 1).
Figure 1. Représentation schématique de la lumière polarisée. Les flèches indiquent le plan d’oscillation des ondes d’énergie.
Cette lumière polarisée peut interagir avec des substances qui contiennent des molécules chirales. Les molécules présentant cette propriété existent en deux versions différentes qui sont similaires, mais qui sont des images miroirs l’une de l’autre. L’exemple le plus simple pour comprendre la chiralité est celui de vos mains. Elles sont identiques, mais des images miroirs. Si vous tournez vos deux paumes vers vous, vous ne pourrez pas superposer parfaitement vos mains.
Quand la lumière polarisée se déplace dans une solution qui contient des molécules chirales dans des proportions différentes de chaque version (si on veut, il y a plus de mains gauches que de droites ou vice-versa), ces composés vont induire une rotation du plan suivant lequel la lumière polarisée oscille (figure 2).
Figure 2. Effet d’une substance chirale sur la lumière polarisée, affectant le plan d’oscillation des ondes d’énergie (représenté par des flèches).
L’ampleur de ce phénomène est propre à chaque molécule chirale. Lorsqu’un liquide contient plusieurs molécules différentes, l’effet global résulte de la contribution de chacune d’entre elles. Aussi, dans un liquide organique complexe, si la composition chimique globale du mélange est toujours similaire, le pouvoir rotatoire résultant se situera dans une plage prévisible.
Comment mesurer le pouvoir rotatoire
Le polarimètre
Le pouvoir rotatoire est mesuré à l’aide d’un instrument appelé polarimètre. Dans cet appareil, de la lumière polarisée suivant un plan connu est émise d’un côté de l’instrument. Elle traverse une cellule de verre de longueur connue qui contient le liquide à l’étude (figure 3). Le plan de polarisation de la lumière résultante est ensuite mesuré par un détecteur situé à la sortie de la cellule de verre.
Figure 3. Cellule de verre du polarimètre contenant la substance à l’étude et équipée d’un thermomètre pour suivre la température.
L’unité de la mesure
La plupart du temps, le pouvoir rotatoire est mesuré à une longueur d’onde précise de jaune (589 nm), émise par une lampe au sodium. La lecture de l’instrument se présente habituellement comme une valeur angulaire (exprimée en degrés, associé au symbole °) qui peut être positive ou négative.
Le symbole + ou − doit être explicite pour cette mesure.
Par exemple, une huile essentielle pourrait donner une lecture de +47.2°, ou −3.0°. Le symbole positif indique que le plan de la lumière polarisée a tourné dans le sens des aiguilles d’une montre (pouvoir dextrogyre) alors que le symbole négatif indique que le plan de la lumière s’est déplacé dans le sens contraire des aiguilles d’une montre (pouvoir lévogyre).
Préparation des échantillons pour le pouvoir rotatoire
Il arrive parfois que la substance doive être diluée pour permettre son étude. C’est le cas lorsque:
- Les substances opaques comme solides ou celles qui sont très colorées. La dilution permet alors à la lumière de les traverser.
- Les substances sont chères ou rares. La dilution permet alors de réduire la quantité nécessaire à l’essai.
- Les substances ont un pouvoir rotatoire très élevé. La valeur peut alors être hors de la plage de lecture efficace de l’appareil. La dilution permet alors de réduire la force de rotation de la lecture brute.
Lors d’une mesure pour une solution diluée, on rapporte habituellement le solvant utilisé pour la dilution et la concentration, en g/100 mL (ou %), à laquelle la solution a été testée. Un calcul est ensuite effectué pour corriger la lecture brute et exprimer le pouvoir rotatoire réel de la substance pure (figure 4).
Figure 4. Interface de l’instrument pour tenir compte de la concentration de la substance en g / 100 mL.
En plus de la valeur du pouvoir rotatoire, d’autres informations peuvent être associées à cette mesure. Il est typique de noter la température de la substance lorsque la lecture a été prise (par exemple, 21 °C).
Ainsi, le résultat du pouvoir rotatoire peut être rapporté comme suit:
+47.2° (21 °C, methanol, c = 1.4)
Ceci indique que la substance induit une rotation dextrogyre de la lumière polarisée d’un angle de 47.2°, lorsque mesurée à 21 °C, une mesure ayant été obtenue à partir d’une solution de la substance à une concentration de 1.4 g / 100 mL dans du méthanol et en appliquant la correction au résultat pour tenir compte de cette dilution.
Le pouvoir rotatoire, les huiles essentielles et les huiles végétales
La composition chimique globale de liquides organiques complexes tels que les huiles essentielles ou les huiles végétales pour une espèce ou variété donnée est toujours similaire. Le pouvoir rotatoire résultant devrait donc toujours se situer dans une plage prévisible.
Normes existantes
Pour beaucoup d’huiles essentielles et certaines huiles végétales comme l’huile de ricin, des normes internationales ou intégrées dans des pharmacopées ont été déployées avec le temps. Nombre d’entre elles comprennent un intervalle attendu de pouvoir rotatoire, avec lequel un résultat individuel peut être comparé dans le cadre d’une vérification de conformité de routine.
Que faire quand il n’y a pas de norme?
Les distilleries et les distributeurs peuvent évidemment appliquer leurs propres spécifications, particulièrement pour les espèces qui ne font pas l’objet d’une norme. Une spécification peut être définie en suivant dans le temps des valeurs obtenues pour plusieurs lots représentatifs de production et en déduisant une plage de tolérance.
Aussi, si l’on connaît ce que devrait être la lecture typique pour une huile, la mesure du pouvoir rotatoire pour un lot donné pourra alors être comparée à la plage attendue dans les spécifications de cette substance. Il s’agira alors d’une (parmi de nombreuses) indication que l’échantillon est « normal ». À l’inverse, une valeur de pouvoir rotatoire inhabituelle peut indiquer qu’il y a un problème avec le lot.
Exemple d’application du pouvoir rotatoire: huiles essentielles de lavande
Nous avons examiné deux huiles essentielles de lavande dites pures, d’origine géographique non précisée.
La norme ISO 3515:2004 pour les huiles essentielles de Lavandula angustifolia, sous le type « autres origines », précise que le pouvoir rotatoire devrait être compris entre −12° et −6°.
Pour l’huile A, on obtient une lecture de −9.1° (figure 5), alors que l’huile B donne plutôt +1.1°.
Figure 5. Lecture du polarimètre pour l’huile essentielle de lavande A.
Par ces valeurs, il est clair que l’échantillon B est irrégulier.
Un examen subséquent par chromatographie gazeuse (GC) révèle que l’échantillon B contient plusieurs ingrédients de synthèse et que cet échantillon serait mieux décrit comme une fragrance artificielle de lavande que comme une huile essentielle pure.
Dans cet exemple, le pouvoir rotatoire est donc un paramètre et un outil qui permet de discriminer une fragrance d’une véritable huile essentielle.