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Alexis St-Gelais, M. Sc., chimiste

Les huiles essentielles et autres extraits aromatiques dérivés de plantes valent leur pesant d’or. Afin d’augmenter les marges de profit, il arrive que des gens peu scrupuleux adultèrent les huiles de différentes façons. Cette série « Les adultérants et vous » est là pour vous présenter quelques unes des adultérations que nous rencontrons. Celles-ci ne sont pas toutes évidentes d’emblée, ni n’entraînent le même niveau de risque pour le consommateur final.

Les huiles riches en salicylate de méthyle (thé des bois et bouleau) constituent un défi pour la communauté du contrôle de la qualité des huiles essentielles. Contrairement à beaucoup d’huiles essentielles, elles contiennent quasiment une seule molécule, nommément le salicylate de méthyle, qui est aussi disponible à très faible coût en version synthétique. L’adultération de ces huiles avec leur équivalent synthétique est donc commune.

Figure 1. Procédé de production industrielle du salicylate de méthyle. Du phénol (1) réagit avec de l’hydroxyde de sodium (NaOH) et du CO2 pour ajouter un acide carboxylique à la molécule, menant vers l’acide salicylique (2). Ce processus est appelé réaction de Kolbe-Schmitt. Le composé 2 est ensuite méthylé pour obtenir le salicylate de méthyle (3). Un sous-produit (4) est obtenu en quantités minimes pendant le processus de Kolbe-Schmitt, découlant de la double carboxylation du phénol.

Le billet d’aujourd’hui a une structure particulière – il s’agit d’un hybride entre la série « Les adultérants et vous » et une note de recherche, puisque nous avons étudié l’adultération au salicylate de méthyle de manière systématique. La section « Comment la détecter? » a donc été élargie pour vous présenter notre démarche scientifique, et est suivie des autres sections habituelles de la série. 

Le salicylate de méthyle synthétique: qu’est-ce que c’est?

L’huile essentielle de thé des bois (obtenue de Gaultheria yunnanensis, G. procumbens ou G. fragrantissima) ou de bouleau (Betula lenta) contiennent surtout du salicylate de méthyle, qui peut être facilement remplacé par ou dilué avec du salicylate de méthyle synthétique. La production industrielle de salicylate de méthyle repose sur la réaction de Kolbe-Schmitt, un classique de la chimie organique de base (figure 1) [1]. Ce procédé a lieu à haute pression et température, ce qui assure un bon rendement en acide salicylique de haute pureté. L’acide salicylique est ensuite méthylé (par exemple en présence de méthanol) pour obtenir le salicylate de méthyle.

Ce dernier, tout comme son équivalent naturel, est un liquide incolore dégageant l’arôme caractéristique du thé des bois. Très bon marché, il est produit en quantités énormes en Chine, et habituellement vendu à une pureté de plus de 99% (ce qui est la norme pour une réaction de Kolbe-Schmitt décemment réalisée).

Quel est le rôle du salicylate de méthyle comme adultérant?

Le salicylate de méthyle synthétique est employé pour diluer ou imiter les huiles naturelles dispendieuses de thé des bois et de bouleau, afin d’augmenter les profits. D’un point de vue chimique, les salicylate de méthyle synthétique et naturel sont exactement la même chose – même odeur, même structure, mêmes propriétés biologiques.

Est-ce dangereux?

Le salicylate de méthyle en lui-même a toujours les mêmes propriétés, qu’il vienne d’une plante ou d’une usine. La différence principale provient des composés minoritaires. Les impuretés à l’état de trace dans le salicylate de méthyle synthétique pourraient être toxiques – mais à des niveaux aussi faibles, cela n’est probablement pas une préoccupation majeure à moins que l’on se mette à boire son huile essentielle. Au total, il est probable qu’il existe peu de motifs d’inquiétude sérieuse relative à cette adultération.

Comment détecter cette adultération: Isolation et caractérisation du 4-hydroxyisophtalate de diméthyle en tant que marqueur du salicylate de méthyle synthétique

Les huiles authentiques devraient contenir de faibles quantités (souvent moins de 0,05%) d’autres composés naturels, comme du linalol, des pinènes et du salicylate d’éthyle. L’absence de ces composés peut être suffisant pour suspecter qu’une huile serait en fait constituée exclusivement de salicylate de méthyle synthétique. Toutefois, les fraudeurs rusés vont plutôt diluer une huile véritable avec l’ingrédient synthétique. Dans de tels cas, de petites quantités de composés naturels seront toujours détectées, et il devient plus difficile de déterminer si l’huile a été adultérée ou non.

Si une trace de phénol est détectée, l’adultération peut également être supposée. En effet, c’est l’ingrédient de départ de la réaction de Kolbe-Schmitt. Cependant, il est la plupart du temps retiré facilement pendant le processus de fabrication à l’aide d’un vide à haute température. Le phénol a un point d’ébullition nettement plus faible que l’acide salicylique, et s’évapore ainsi plus rapidement.

Cela dit, à moins qu’une purification supplémentaire n’ait été ajoutée au procédé, une petite quantité (cela peut être aussi peu que 0,05%) d’acide 4-hydroxyisophtalique (4) est aussi généré pendant la réaction de Kolbe-Schmitt [1] (voir de nouveau la figure 1). Ce sous-produit tire son origine de la double addition du dioxyde de carbone au phénol, une réaction parasite qui peut difficilement être évitée dans le processus en raison des mécanismes mêmes de la chimie organique. Toute quantité du composé 4 qui subsiste dans l’acide salicylique de grade technique (non-raffiné) sera donc méthylé lui aussi pendant la synthèse du salicylate de méthyle, pour donner le composé 5. Le composé 4 peut être retiré de l’acide salicylique, mais cette opération est sans doute réservée aux produits de grade pharmaceutique bien plus coûteux, ce qui rend l’adultération moins séduisante. De ce fait, le composé 5 est un excellent marqueur d’ajout de salicylate de méthyle synthétique.

L’analyse de salicylate de méthyle synthétique de grade technique montre qu’un composé élué tardivement est observé à des teneurs entre 0,1% et 0,6% (figure 2). À l’époque où nous avons réalisé cette étude, nous utilisions des versions plus anciennes de certaines bases de données qui n’incluaient pas ce composé, alors nous avions décidé de vérifier ce dont il s’agissait en l’isolant pour le caractériser.

 

Figure 2. Chromatogramme GC du salicylate de méthyle synthétique, montrant un composé « inconnu » (à l’époque).

Nous avons procédé aux manipulations à partir de 140 mL de ce mélange. Le premier défi était d’obtenir une fraction enrichie en molécule inconnue, contenant moins de salicylate de méthyle dont il fallait se débarrasser. Puisque les deux composés étaient assez éloignés l’un de l’autre sur le chromatogramme GC (figure 2), nous pouvions conclure que leurs points d’ébullition étaient également bien différents (pour plus de détails sur cette inférence, revoyez notre billet sur la polarité). Nous avons donc employé une colonne de Vigreux (figure 3) pour distiller sélectivement le salicylate de méthyle.

Figure 3. Une colonne de Vigreux typique (source: Wikimedia Commons)

La colonne de Vigreux est installée sur un ballon contenant l’huile à ébullition, avec l’ensemble du montage sous vide partiel pour diminuer les points d’ébullition, de sorte à ce que la distillation procède à une température raisonnable. La colonne contient plusieurs pointes concaves de verre, créant des paliers avec une large surface de contact avec l’air. À chaque palier, les composés gazeux chauds entre en contact avec un environnement un peu plus froid en raison de l’air ambiant, et condensent. Ils sont ensuite chauffés de nouveau par les vapeurs qui remontent. Puisque le composé inconnu bout à une température plus élevée que le salicylate de méthyle, ce dernier a plus de facilité à repasser à l’état de vapeur, et se rend plus rapidement au palier suivant. Conséquemment, à chaque palier, la teneur relative en salicylate de méthyle de la phase gazeuse augmente. Au bout du compte, en sortie de colonne, du salicylate de méthyle presque pur est condensé, alors que l’inconnu retombe dans le ballon où il se concentre au gré du retrait du salicylate de méthyle. Nous avons donc obtenu une fraction « légère », contenant presque 100% de salicylate de méthyle par GC, et environ 40 mL d’une fraction liquide « lourde » brunâtre dans le ballon initial. L’analyse par GC a alors montré que l’inconnu représentait 6% de cette fraction.

Cette fraction lourde a donc été soumise à de la chromatographie « flash » à l’aide de 75 g de silice, éluée isocratiquement avec hexanes/acétone 50:1. La chromatographie « flash » est une variante à l’échelle du laboratoire de la chromatographie utilisée pour séparer des mélanges de composés, afin d’isoler certains d’entre eux. Dans ce cas, des tests préliminaires à l’aide de chromatographie sur couche mince ont indiqué que les conditions utilisées fourniraient une séparation adéquate des deux molécules. Le salicylate de méthyle devait sortir de la colonne en premier, suivi du composé inconnu. Enfin, une série d’impuretés jaune-brunes resteraient essentiellement absorbées sur la silice. Ces conditions planifiées ont bien fonctionné, tel que l’illustre la figure 4. 

Figure 4. Colonne chromatographique « flash » de la fraction lourde, enrichie avec le composé inconnu. La photographie A montre la séparation en début de piste. De la silice vierge repose au bas de la colonne, avec la bande jaune pâle du salicylate de méthyle éluant lentement. La bande plus franchement jaune correspondant aux impuretés demeure essentiellement au sommet de la colonne. La photographie B montre la séparation plus tard: l’essentiel du salicylate de méthyle a quitté la colonne, avec une bande plus pâle contenant le composé inconnu ayant progressé. Bien que les autres impuretés jaune aient quelque peu avancé, elles demeurent bien en arrière du composé d’intérêt. Le tuyau visible sur cette photographie est l’entrée d’air comprimé utilisé pour accélérer la migration des composés à travers la colonne, d’où le terme « flash ».

Des fractions de 50 mL ont été récoltées, et suivies par chromatographie sur couche mince en utilisant un éluant d’hexane/acétone 15:1 et des plaques de silice. De manière similaire à la chromatographie « flash », la chromatographie sur couche mince peut séparer les composés d’un mélange, mais à une échelle bien plus réduite. On s’en sert essentiellement comme de nos « yeux » à la paillasse, pour vérifier la façon dont les manipulations se passent. La plaque est napée d’une couche de silice contenant un composé fluorescent, donnant une couleur verte lorsqu’observée sous UV à 254 nm. Plusieurs composés organiques, et particulièrement ceux contenant un cycle aromatique (comme le salicylate de méthyle et, probablement, le composé inconnu), absorbent cette longueur d’onde et apparaissent donc en tant que taches noires sur la plaque en inhibant la fluorescence de base. La figure 5 montre comment les fractions récoltées se sont comportées. 

Figure 5. Chromatographie sur couche mince des fractions récoltées de la colonne « flash ». L’astérisque indique la fraction lourde soumise au départ à la chromatographie. La tache du haut est le salicylate de méthyle, et la tache du bas l’inconnu visé.

La fraction 9 contenait les deux composés sous forme de mélange et a été mise de côté, alors que les fractions 10 à 15 ont été réunies et évaporées délicatement sous vide pour fournir des cristaux blancs poudreux, présumés être d’une bonne pureté (figure 6).

Figure 6. Cristaux poudreux obtenus après la chromatographie « flash ».

La dernière étape consistait à caractériser le composé inconnu obtenu, dont on a trouvé qu’il s’agissait du 4-hydroxyisophtalate de diméthyle (5). Cette conclusion a été atteinte grâce à des expériences de résonance magnétique nucléaire, qui permettent de déterminer la structure des molécules – je vais réserver une description plus vulgarisée de cette technique pour un billet ultérieure, et uniquement présenter les résultats pour nos lecteurs chimistes et par souci de transparence. Le spectre de masse du composé 5 a également été enregistré (figure 7), et nous partageons ses indices de rétention sur deux colonnes capillaires en GC-FID. Les informations suivantes peuvent servir de référence à quiconque tente d’identifier ce composé dans une huile de thé des bois suspecte.

Dimethyl 4-hydroxyisophthalate (5). Cristaux blancs, 1H NMR (400 MHz, DMSO-d6/CDCl3 1:1) δ: 11.07 (s, 4-OH), 8.37 (d, J = 2.1, H-2), 8.02 (dd, J = 8.8, 2.1, H-6), 6.99 (d, J = 8.8, H-5), 3.96 (s, H-2’), 3.86 (s, H-1’); 13C NMR (100 MHz, DMSO-d6/CDCl3 1:1) δ: 168.9 (C-8), 164.8 (C-7), 164.0 (C-4), 135.8 (C-6), 131.7 (C-2), 120.7 (C-1), 117.3 (C-5), 112.0 (C-3), 52.3 (C-2’), 51.5 (C-1’); EI MS m/z (rel. int.): 178 (100), 147 (65), 210 (45), 179 (35), 119 (34), 63 (13), 91 (11), 120 (9), 136 (8); retention indexes (normal alkanes RI, H2, FAST GC): 1615 (BPX-5, SGE Analytical Science), 2313 (Solgel-Wax, SGE Analytical Science).

Figure 7. Spectre de masse (impact électronique) du composé 5.

Le composé 5 est le produit méthylé du sous-produit 4 de la réaction de Kolbe-Schmitt, ce qui est conforme à la littérature [1]. Il a également été rapporté dans un article chinois comme étant présent dans des déchets de production du salicylate de méthyle de synthèse [2]. Notre petite investigation comblait le fossé entre ces informations et la détection en routine du salicylate de méthyle synthétique: toute observation du composé 5 dans une huile riche en salicylate de méthyle indique l’adultération avec le composé synthétique.

Le mot de la fin

Le salicylate de méthyle synthétique peut être facilement employé pour diluer ou imiter des huiles naturelles de thé des bois et de bouleau, car il est pour l’essentiel identique à la molécule naturelle. Bien que n’étant pas dangereuse, cette adultération entraîne un fort biais des prix pour des huiles qui ne sont plus naturelles. On peut détecter la fraude par l’absence de constituants minoritaires naturels, ou par la présence de 4-hydroxyisophtalate de diméthyle (5), une impureté issue de la réaction de Kolbe-Schmitt. Cette impureté a été isolée et dûment caractérisée par RMN et spectrométrie de masse. Les données fournies dans ce billet devraient permettre à la plupart des laboratoires d’identifier l’adultération.

Références

[1] Boullard, O, Leblanc, H, Besson, B. Salicylic Acid. In Ullmann’s Encyclopedia of Industrial Chemistry, 7th ed., vol. 32, p. 127-134, [Online], URL: http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/14356007.a23_477/abstract

[2] Yumei, L. Preliminary characterization of residue from methyl salicylate production, Shanghai Huanjing Kexue, 1998, 17 (2), 40-41 (en Mandarin).

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