Alexis St-Gelais, M. Sc., chimiste
La flore nord-américaine foisonne toujours de plantes aromatiques n’ayant pas (encore) été étudiées pour leurs composés volatils. L’une de ces zones d’ombres était, jusqu’à tout récemment, une plante communément appelée en anglais le « céleri des Indiens » (figure 1), ou encore berce laineuse, et que l’on retrouve à travers le continent.
Cette espèce (Heracleum maximum Bartram, suivant son nom botanique formel) est ainsi désignée en raison d’une intéressante utilisation traditionnelle. On rapport en effet qu’il s’agissait de l’un des principaux légumes consommés par certaines populations amérindiennes, notamment dans la partie ouest de l’Amérique du Nord [1]. Les tiges des feuilles, qui partagent avec le céleri une forme arrondie et des nervures fibreuses (les deux plantes appartiennent à la même famille botanique, les Apiaceae), étaient récoltées lorsqu’elles étaient jeunes et tendres. Elles étaient ensuite pelées. De fait, les Premières Nations avaient appris au fil du temps à éviter la toxicité de cette espèce, provoquée par les furanocoumarines que l’on retrouve sur toute la surface de la plante. Ce type de molécules induit une irritation de la peau après exposition à la lumière, et l’inflammation de la bouche [2]. Quant aux graines, elles trouvaient également une application culinaire en tant qu’épice facilement accessible chez les colons nord-américains [3].
De tels emplois alimentaires étaient probablement en partie liés à l’arôme de la plante. Le genre Heracleum est d’ailleurs largement étudié autour du monde pour ses huiles essentielles. Pourtant, le « céleri des Indiens », seul représentant indigène des Heracleum en Amérique du Nord, était passé sous le radar. Nous avons donc décidé de jeter un oeil à ce que la plante avait à offrir au monde des huiles essentielles. Le résultat de nos travaux a été récemment publié dans le Journal of Essential Oil Research [4]. L’analyse complète est passablement détaillée, avec plus de 110 composés identifiés dans chaque huile, mais voici quelques faits saillants.

Figure 1. Fleurs de « céleri des Indiens » (Heracleum maximum). Source: Wikimedia Commons
Les tiges dégagent un parfum vif d’agrume, qui s’est transposée dans une huile essentielle obtenue à un très faible rendement de 0,02%. Pourtant, cet arôme a certainement contribué à l’emploi de la plante comme légume, et même dans des desserts. Sa composition est dominée par le limonène (45%), accompagné d’autres monoterpènes, pour l’essentiel. Pour ce qui est des autres types de composés, la présence d’isodaucène (0,5%), de daucène (traces) et de (Z)-falcarinol (3,3%) est notable. Ces composés sont souvent rencontrés chez les Apicaeae, et il était intéressant de les repérer également chez la berce laineuse.
Les graines présentent un arôme totalement différent, que nous pourrions décrire comme poignant et terreux. Elles contiennent bien plus d’huile (0,41%), qui présente un profil totalement différent de celui des tiges. Ce phénomène n’est pas inattendu, dans la mesure où il a été observé chez la plupart des espèces d’Heracleum étudiées à ce jour. Comme la plupart des membres de ce genre, les graines du « céleri des Indiens » sont riches en esters aliphatiques, pour la plupart reliés à l’octanol (6%): l’acétate d’octyle (66%), le butyrate d’octyle (8%) et l’hexanoate d’octyle (2%) sont les principaux composés de cette huile. Nous avons profité de cette occasion pour comparer ce profil avec celui rapporté pour d’autres espèces d’Heracleum, ce qui permet à notre article de servir de petite revue de littérature sur les huiles des graines de ce genre. Ce tableau est reproduit ci-dessous (Tableau I).
Tableau I. Revue de la composition de l’huile essentielle des graines de différentes espèces d’Heracleum
Avec un rendement de cet ordre, une distillation de graines du « céleri des Indiens » à plus grande échelle pourrait être considérée comme envisageable. La berce laineuse n’est certainement pas la seule plante nord-américaine qui mériterait davantage d’attention de la part de la communauté des huiles essentielles. Il s’agit certainement d’un bon exemple des nombreuses découvertes restant à faire dans notre domaine!
Références
[1] Kuhnlein, H.; Turner, N. Cow-Parsnip (Heracleum Lanatum Michx.) : An Indigenous Vegetable of Native People of Northwestern North America. Journal of Ethnobiology. 1987, pp 309–324.
[2] Camm, E. L.; Wat, C.; Towers, G. H. N. An Assessment of the Roles of Furanocoumarins in Heracleum Lanatum. Can. J. Bot. 1976, 54, 2562–2566.
[3] Erichsen-Brown, C. Medicinal and Other Uses of North American Plants – A Historical Survey with Special Reference to the Eastern Indian Tribes; Dover Publications, Inc.: New York, 1979.
[4] St-Gelais, A.; Collin, G.; Pichette, A. Aromas from Quebec. V. Essential Oils from the Fruits and Stems of Heracleum Maximum Bartram and Their Unsaturated Aliphatic Acetates. J. Essent. Oil Res. 2016, 28, 1–11.